Science et ostéopathie: Que reste-t-il à un ostéopathe EBP ?

Référence et lien court: OP-CFDVX2

😶‍🌫️ J’ai vu beaucoup de personnes se poser cette question à l’issue du documentaire sur l’avenir de l’ostéopathie de @monsieurclavicule, je vous apporte ma proposition de réponse sur ce que fait, selon moi, un ostéopathe EBP. Je suis kinésithérapeute, je suis formateur pour les ostéopathes dans le domaine de la douleur et très informé sur la pratique de la thérapie manuelle et les preuves. Je vous invite avec plaisir à apporter vos avis sur ce que je dis, pas seulement ce sur quoi vous n’êtes pas d’accord mais aussi les points auxquels vous adhérez.

Qu’est-ce que l’EBP ?

📚 Bref rappel avant de commencer. L’EBP c’est l'Evidence Based Practice (pratique factuelle/pratique fondée sur les preuves). L’EBP est une adaptation de l'Evidence Based Medicine, un processus formulé par Gordon Guyatt et son mentor David Sackett dans les années 90 pour guider les décisions des médecins en utilisant les dernières preuves scientifiques. Quelques personnes proposent maintenant le terme d’EBHC (Evidence Based Health Care) qui n’arrive pas à faire sa place.

Le processus a été décrit avec 5 étapes principales:

  1. Convertir les informations dont on a besoin en une question clinique répondable
  2. Chercher les meilleures preuves pour répondre à cette question
  3. Évaluer de manière critique les preuves pour la validité, l’impact et leur applicabilité
  4. Intégrer les preuves dans la prise de décision clinique
  5. Évaluer les étapes 1 à 4 et chercher des manières d’améliorer ça la prochaine fois

⚠️ En pratique, il y a fort à parier que très peu des praticien·ne·s qui se disent EBP réalisent une recherche systématique dans la littérature. Je me contenterais donc, dans un parti pris assumé, de rester sur la définition officielle:

L’utilisation consciencieuse, judicieuse et explicite des meilleures preuves actuelles pour prendre des décisions dans le soin d’un patient individuel. La pratique implique d’intégrer le jugement et la compétence du clinicien avec la meilleure donnée de la recherche cliniquement pertinente.

Un rôle essentiel: le triage

🕵️🔍 Déjà, ce n’est peut-être pas ce pourquoi beaucoup ont choisi ce métier, mais c’est selon moi le rôle essentiel, celui qui justifie la place de l’ostéopathie dans le système de santé français. Ce rôle, c’est celui de triage. Oui, ce n’est pas le seul rôle qui reste, mais celui-ci est parfaitement taillé pour la place que vous avez actuellement. Il y a un maillage d'environ 31 000 ostéos en France, accessibles en une demi-journée, directement. Vos consultations sont assez longues pour pouvoir faire une analyse assez complète de la problématique des patient·e·s. C’est une position idéale dans ce système de soins où le nombre de médecins devrait décliner jusqu’en 2027, et c’est sûrement sur cela qu’il faut capitaliser pour vanter les mérites de l’ostéopathie en France.

🪛 En dehors du triage, il y a un vrai rôle d’accompagnant·e et de guide, mais avant d’aborder ce rôle, j’aimerais finir sur ce que doit faire un ostéopathe EBP pour être pertinent en triage: il ou elle se doit de d’avoir les connaissances en pathologies à trier et en examen clinique.

Des connaissances à jour en pathologies

Il est absolument essentiel de connaître et mettre régulièrement à jour les pathologies à repérer qui doivent faire réorienter les patient·e·s. Cela passe par une veille soit passive (en s’abonnant à des revues ou des comptes partageant des études sur les réseaux), soit active (en réalisant des recherches directement sur les bases de données).

  • Il ne faut pas s’arrêter à ce que vos influenceurs ou influenceuses préféré·e·s nous montrent. Prendre la tension n’est pas la seule chose à faire. Oui il faut regarder les pieds de nos patient·e·s diabétiques. Oui il faut être capable d’identifier les personnes âgées en situation de fragilité (je ne parle pas que de leurs os, mais des risques moteurs). Etc… Il y a des vies à sauver, des coûts de santé à économiser.
  • Comprendre les pathologies associées et ne pas juste connaître la liste de signes à surveiller. Par exemple, il faut savoir pourquoi la grossesse récente est un red flag (risque d’ostéopénie, augmentée d’autant plus lors de la prescription d’héparine) pour bien appréhender la situation clinique et ne pas renvoyer toutes les jeunes maman hors du cabinet.

L’examen clinique, clé de voûte de l’EBP

Un examen clinique pertinent comporte:

  • Une anamnèse bien menée avec les bonnes stratégies de discours, les bonnes questions, permettant à la personne de se sentir écoutée et de recueillir les objectifs bien posés et attentes des patient·e·s (première étape des 5 étapes généralement décrites dans l’EBP).
  • Un examen physique judicieux avec des tests de qualité, reproductibles et valides, pour permettre d’inclure des pathologies musculo-squelettiques gérables en ostéopathie et d’exclure des pathologies nécessitant d’autres soins.
  • Des explications et la recherche d’un consentement éclairé dès la réalisation de l’anamnèse (cela est certes de l’éthique, mais il y a une raison tout à fait justifiable scientifiquement à cela, s’assurer de ne pas aller dans le sens d’attentes négatives des patient·e·s, probablement délétères pour son évolution).

💡 Mais en clair, quelques exemples de tests pertinents ? C’est simple, si vous voulez tester si la personne a un problème de neuropathie, ne faites pas un test de Tinnel, faites une évaluation quantitative des troubles sensitifs. Si vous pensez que votre patient·e a des douleurs en lien avec la sacro-iliaque, faites le cluster de Laslett plutôt qu’un test de flexion debout. Je ne parle même pas de la palpation avec les gros doigts pour essayer de sentir des choses où il faut fermer les yeux pour se concentrer très fort. Ne faisons pas ça, la mobilité des vertèbres, les nœuds dans les fascias, les adhérences,… Ce n’est en toute vraisemblance pas possible.

Pour celles et ceux qui lisent des études ou connaissent un peu la manière clinique de mesurer des tests je vous donne des valeurs empiriques acceptées dans la littérature. Il faut chercher des tests valides qui ont des ratios de vraisemblance positifs au moins supérieur à 5, idéalement supérieurs à 10 ou des ratios de vraisemblance négatifs au moins inférieurs à 0,2, idéalement inférieurs à 0,1. La reproductibilité évaluée avec un outil statistique comme les différents kappa devrait avoir des valeurs au moins supérieures à 0,6 et idéalement supérieures à 0,8.

Prise en soin des douleurs

⛑️ Le rôle d’accompagnant et de guide est la version la plus moderne de la prise en soin en thérapie “physique”. L’idée n’est plus de trouver des problèmes biomécaniques, i.e. des dysfonctions ostéopathiques aux patients et de les traiter. Il s’agit de se servir de la thérapie manuelle (TM) comme d’un moyen d’interagir avec les patient·e·s, de produire une expérience par la diminution temporaire des douleurs grâce à des phénomènes probablement neurophysiologiques et, à plus long terme, probablement par des effets psychologiques.

🤓 Pour vous faire un bref rappel des états des connaissances sur la thérapie manuelle, il s’agit d’une option de traitement efficace pour réduire l’intensité des douleurs et améliorer la fonction des patients, y compris seule, y compris à long terme (1 an). Mais les études qui ont évalué cela utilisaient souvent au moins 8 sessions de thérapie manuelle. On peut manipuler où on veut et de la manière qu’on veut et obtenir des résultats similaires. Il ne semble pas y avoir de thérapies manuelles largement supérieures aux autres, mais celles des tissus mous pourrait être une option un peu plus souhaitable mais le risque que cette connaissance soit erronée est élevé.

C’est l’exercice le traitement n°1 ?

🏋️ Cela n’apporte pas d’effets suffisamment importants d’ajouter la TM à des exercices, mais l’inverse est très probablement vrai également. On préfèrera les exercices, non pas pour l’efficacité, mais plus pour les effets secondaires de ceux-ci, à savoir l’augmentation de l’espérance de vie et la prévention de nombreuses maladies chroniques (au moins 27). Aussi, il est possible que d’intégrer des exercices soit plus coût-efficace, c’est-à-dire que cela coûte moins cher d’arriver au même résultat mais cela mérite d’être soigneusement évalué pour s’en assurer. Il est donc tout à fait acceptable de substituer les exercices, qu’on recommande souvent, à la TM pour des patients ayant des attentes négatives envers les exercices (facteur de mauvais pronostic, que ce soit à court ou long terme), ou manquant de résilience pour pouvoir les accepter et les mettre en œuvre.

🙅‍♂️ Si tout ce qu’on a dit avant n’est pas assez clair sur ce qu’on peut retirer en pratique voilà ce que moi j’en retiens. On ne débloque vraisemblablement pas la motilité du foie, la mobilité des vertèbres n’a probablement rien à voir avec l’amélioration des douleurs, il n’y a pas besoin de jouer sur le fluage des fascias, non seulement les éléments que j’ai rappelé au-dessus sont suffisants pour le croire, mais en réalité, cela a même été investigué directement et je vous laisse lire les billets de blogs de kinéfact écrits par Gaëtan HENRY si vous voulez en savoir plus.

Pragmatiquement, la TM en ostéopathie EBP

✅ On peut donc faire, toutes les techniques qu’on veut, pour tous les patient·e·s qu’on veut en sachant que ce qu’on vise c’est qu’ils et elles aillent mieux tout de suite, et éventuellement que ça permette de modifier des facteurs prédisant la bonne évolution: qu’ils se sentent capables de faire des choses malgré la douleur, qu’ils aient l’impression qu’ils vont s’améliorer et qu’ils reprennent les activités de la vie quotidienne le plus tôt possible. Donc un ostéopathe EBP doit utiliser la thérapie manuelle pour cela et doit donc faire en sorte que son discours et sa manière de proposer les techniques ne crée pas l’inverse.

📈 Tout bêtement, si le patient dit qu’il a mal quand il fait un mouvement et que l’ostéopathe ne l’invite pas à réessayer le mouvement pour voir si ça s’améliore mais qu’il pose tout de suite ses mains sur lui pour que le patient puisse rebouger instantanément sans douleur, il y a des chances que le patient ne se sente pas plus capable de faire des choses malgré la douleur. Si il lui fait constater l’amélioration instantanée de son problème, alors les chances sont meilleures de l’aider à penser qu’il va aller mieux.

📉 Et malheureusement, un thérapeute qui explique au patient qu’il avait une vertèbre bloquée et il vient de lui débloquer et qu’il ne faut surtout pas qu’il bouge après la séance vient très probable de créer des croyances qu’on dit de peur-évitement. Cela veut dire que quand la personne sera confrontée à la douleur à l’avenir, il y a plus de chances que son choix soit de s’abstenir de bouger le temps de revoir son ostéopathe.

Les conseils

🪴 Un·e ostéopathe EBP ne va pas entraîner les patient·e·s dans des dérives. Lorsqu’il ou elle tient compte des facteurs psychologiques ce n’est pas pour lier un trauma psychologique passé aux tissus des patient·e·s, le risque étant d’induire de faux souvenirs. S’il a vraiment repéré un stress post-traumatique, il ne gère pas ce qui sort de son champ de compétences et renvoie vers un psychologue compétent qui peut facilement repérer les signes de décompensation.

🗣️ Les conseils de l’ostéopathe EBP se limitent à son champ d’intervention puisqu’il sait qu’il ignore trop de choses dans les champs voisins au sien pour intervenir en toute sécurité. Il ou elle ne va pas donc pas donner de conseils sur les médicaments pris, sur les vaccins ou sur l’alimentation en dehors des conseils génériques qui sont soutenus par les communications de santé publique.

🎓 Les quelques fois où il ou elle interviendra seront pour informer le ou la professionnel·le compétent·e pour prendre les décisions d’éléments qu’il ou elle a repéré. Par exemple, malgré les risques d’hyperalgésie induite par les opioïdes, il ne peut qu’informer le médecin prescripteur que la prise d’opioïdes explique peut-être les douleurs présentes cliniquement chez le patient. C’est le médecin qui choisit de lancer un sevrage, pas l’ostéopathe.

🍎 Il fera bien attention à donner des conseils adaptés sur des champs de santé important dans les troubles musculo-squelettiques: sommeil, stress, tabac, alcool, pratique d’activité physique…

La relaxation et le bien-être

💆 Le bien-être fait partie intégrante de la définition de la santé de l’OMS. Mais les thérapies manuelles évaluées pour la réduction du stress ou les bienfaits mentaux sont essentiellement les techniques de massage. Il convient donc de bien informer le ou la patiente avant toute prise en charge bien-être de l’état des connaissances sur le sujet, de l’intérêt de la pratique d’une activité physique et, le cas échéant, de renvoyer le patient vers un thérapeute adapté pour gérer de l’anxiété généralisée si besoin. Il peut après avoir fait cela, toujours proposer diverses interventions aux patient·e·s, notamment des techniques myotensives pour aider à gérer ce genre de sensations.

😵‍💫 Il ne propose pas lui-même de techniques psychothérapeutiques à base de méditation pleine conscience ou pseudo-psychothérapeutiques telles que la kinésiologie et autres techniques énergétiques et fonctionnelles pour éviter tout risque d’emprise mentale et de décompensations de pathologies psychiatriques qu’il n’a pas les compétences pour gérer.

Conclusion

Ces propositions reflètent l’état de la littérature et du législatif que je connais en 2024. L’EBP s’appuie sur la situation clinique du patient et ce n’est donc pas possible de refléter ça dans un article généraliste. Si ce que vous faîtes sort par contre très souvent des clous de ce qui est décrit, alors il est probable que vous ne colliez pas à la définition d’ostéopathe EBP que j’ai proposée.

Ce qui est merveilleux c’est que reprendre l’exemple de ce que fait un ostéopathe EBP en 2030 sera probablement assez différent puisque c’est exactement l’intérêt d’une approche EBP. En retirant ce qui semble moins aider les patients et en ajoutant ce qui semble le plus les améliorer, on essaye d’évoluer vers une meilleure qualité des soins. On ne pourra donc pas prendre les mêmes idées que celles de l’époque où on traitait les patients en leur donnant de l’arsenic.

Mais qui trouve que cela est une mauvaise chose de chercher à s’améliorer ?

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