L'IGAS fait un constat détaillé et préoccupant de l'ostéopathie

Référence et lien court: OP-IV5ESF-9

Le 26 octobre 2021, le Ministre des Solidarités et de la Santé a chargé l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) d’évaluer le processus d’agrément des écoles de formation en ostéopathie.

L’IGAS est un organisme interministériel chargé de mener des missions de contrôle, d’audit, d’expertise et d’évaluation. Il conseille les autorités publiques et contribue à la conception et à la mise en œuvre de réformes.

Dans son rapport publié en avril 2022, l’IGAS dresse un état des lieux de l’ostéopathie en France en 2021. Cet état des lieux s’appuie notamment sur plusieurs bases de données provenant de la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES), de la Caisse Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Assurance Vieillesse (CIPAV) des professions libérales et de l'Union Nationale des Associations Agréées (UNASA).

Cet article détaillera les éléments clés du constat présenté par l’administration.

L’auteur de cet article écrit à titre personnel.

L’administration prend position en faveur d’une évolution de l’ostéopathie

La situation créée par la loi de 2002 n’est plus tenable en l’état.

Dans son rapport, l’IGAS conclut que l’ostéopathie occupe une position ambiguë dans le système de santé et propose de modifier le code de la santé publique pour inclure les ostéopathes en tant qu’auxiliaires médicaux. L’IGAS estime que l’ostéopathie mérite une place précise afin de garantir la sécurité des patients.

L’IGAS indique clairement qu’il faut écarter l’option de la déréglementation ou de la restriction de la pratique de l’ostéopathie par des professionnels de santé. Elle reconnaît que les ostéopathes souhaitent rester autonomes, avoir un accès direct aux patients et s’intégrer dans une prise en charge coordonnée.

L’institution considère que les exigences du dispositif de formation en ostéopathie sont insuffisantes en termes de qualité. C’est pourquoi elle propose une évolution visant à renforcer la procédure d’agrément, à rendre le conventionnement avec une université obligatoire, à systématiser les inspections sur place des écoles et à mettre en place un examen national de validation finale.

L’administration reconnaît que la Commission Consultative Nationale d’Agrément (CCNA) actuelle ne peut jouer qu’un rôle limité dans l’amélioration du dispositif de formation et du processus d’agrément des écoles. Elle constate un manque de connexion entre les Agences Régionales de Santé (ARS) et les écoles, ce qui ne permet pas une gestion décentralisée de la formation.

Selon l’IGAS, il est important d’envisager la possibilité de réguler la démographie des ostéopathes et elle constate l’absence de quotas basés sur les besoins de la profession.

De manière générale, l’inspection générale propose un transfert de la responsabilité de l’agrément des écoles du ministère vers une structure indépendante et souhaite un renforcement de l’enseignement, notamment en pratique clinique dans les cliniques des écoles, ainsi qu’un renforcement de l’enseignement axé sur la recherche.

En ce qui concerne l’exercice de l’ostéopathie, l’institution souhaite que l’État dispose d’outils permettant une meilleure surveillance des accidents et d’un dispositif d'évaluation de la pratique. Elle note également que la Haute Autorité de Santé (HAS), chargée d’élaborer et de valider des recommandations de bonnes pratiques depuis 2002, n’a pas produit de travaux spécifiques sur la discipline.

L’IGAS exprime des inquiétudes quant à la confusion des patients concernant la délimitation du champ de compétence des ostéopathes. Selon elle, les importantes pénuries de professionnel·le·s de santé entraînent une sollicitation accrue des ostéopathes disponibles dans les déserts médicaux. Cette sollicitation pourrait à terme entraîner des lacunes dans la prise en charge médicale.

Une profession appréciée par les français

L’ostéopathie est une pratique, très appréciée par la population, qui s’est démocratisée. L’ostéopathie est la médecine complémentaire la plus populaire en France.

Dans son rapport, l’IGAS présente les résultats des différentes enquêtes sur la popularité de l’ostéopathie et confirme que:

  • 3 Français sur 5 ont déjà consulté un ostéopathe.
  • 78% des patients découvrent l’ostéopathie par le biais du bouche-à-oreille.
  • 72% des patients consultent un ostéopathe pour des douleurs articulaires ou musculaires.

Par ailleurs, le recours à l’ostéopathie est favorisé par le remboursement de plus en plus fréquent par les mutuelles en France.

Un titre partagé entre médecins, masseurs-kinésithérapeutes et ostéopathes exclusifs

Répartition des ostéopathes selon la catégorie professionnelle en décembre 2021

Une importante représentation des micro-entrepreneur, des jeunes et des femmes.

Au premier janvier 2022, le nombre d’ostéopathes actifs·ves cotisant·e·s à la CIPAV s’élève à 15 043. Parmi ces professionnel·le·s, 3 953, soit 23,6%, sont des micro-entrepreneurs·ses (anciennement auto-entrepreneurs·ses).

On observe une forte féminisation avec près de 8 320 ostéopathes femmes pour environ 6 723 ostéopathes hommes cotisants à la CIPAV.

Répartition des ostéopathes affiliés à la CIPAV selon le sexe et la classe d’âge en 2022

Répartition par âge des ostéopathes en janvier 2022

L’ostéopathie connaît actuellement un véritable “baby-boom” avec plus de 50% de ses professionnel·le·s ayant moins de 45 ans. De plus, le nombre d’ostéopathes prévoyant de prendre leur retraite dans les cinq prochaines années est relativement faible.

Une croissance démographique très forte

Au 1er janvier 2022, le nombre d’ostéopathes exclusifs·ves actifs·ves cotisant·e·s à la CIPAV est de 15 043, ce qui représente 1,5 fois moins que les estimations basées sur le répertoire ADELI du nombre d’ostéopathes en exercice. En effet, le registre ADELI recense en 2022 un total de 36 861 ostéopathes, toutes catégories confondues, dont 23 402 ostéopathes exclusifs·ves.

Étant donné que l'affiliation à la CIPAV est obligatoire pour ces professionnel·le·s, ces données semblent plus fiables que celles obtenues à partir du traitement de la base ADELI. Cependant, ces chiffres soulèvent des questions quant au nombre d’ostéopathes exclusifs·ves ayant plusieurs lieux d’exercice et au nombre de professionnel·le·s qui cessent leur activité.

En 2021, il existe 31 écoles d’ostéopathie agréées par le ministère de la Santé, avec une capacité d’accueil totale de 11 974 étudiants. L’IGAS estime une densité d’ostéopathes entre 42 et 53 pour 100 000 habitants en France.

À titre de comparaison, en 2020, la densité moyenne nationale des masseurs-kinésithérapeutes était de 135 pour 100 000 habitants, tandis que celle des médecins généralistes était de 140 pour 100 000 habitants.

Par ailleurs, l’évolution démographique semble favoriser l’ostéopathie exclusive, avec une baisse de 54% des ostéopathes ayant un titre partagé avec une autre profession de santé en 2010 à 36,5% en 2022.

Évolution du nombre d’ostéopathes en France entre 2010 et 2022 selon qu’il s’agit d’ostéopathes exclusifs ou de professionnels de santé

Comparaison des dénombrements des ostéopathes à exercice exclusif entre 2013 et 2022 selon la source des données

Une répartition inégale des ostéopathes sur le territoire français

Comme pour les professionnels de santé, la répartition des ostéopathes sur le territoire n’est pas uniforme.

Bien que les données varient selon les sources, les chiffres régionaux sont comparables.

Ainsi, quelle que soit la source des données, on constate que la densité des ostéopathes est la plus élevée dans les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), Auvergne Rhône Alpes (ARA), Occitanie et Île-de-France.

En revanche, les densités les plus faibles sont observées en Normandie, Hauts-de-France et Grand Est.

Densité des ostéopathes par région

Dénombrement des professionnels à exercice principal ostéopathe en 2021

Dénombrement des ostéopathes cotisants à la CIPAV en 2022

D’importantes inégalités de revenus

Évolution des revenus annuels des ostéopathes actifs entre 2011 et 2020

L’analyse de l’IGAS met en évidence la modestie des revenus de nombreux ostéopathes. En effet, l’étude des rémunérations réalisée par l’IGAS révèle que près de la moitié des ostéopathes vivent avec un revenu inférieur au SMIC. De plus, environ un quart des ostéopathes ont un revenu mensuel inférieur à 830 euros, ce qui est préoccupant.

En 2019, les données estiment le revenu annuel moyen d’un ostéopathe entre 25 000 et 26 000 euros, ce qui correspond à un revenu mensuel légèrement supérieur à 2 000 euros.

Bien qu’il soit possible que les chiffres de la CIPAV puisse manquer de fiabilité, le nombre élevé d’ostéopathes qui arrêtent leur pratique en raison d’une activité insuffisante est une des principales explications de la différence entre le nombre d’ostéopathes inscrits au registre ADELI et le nombre d’ostéopathes cotisant à la CIPAV. On constate une différence de 8 359 ostéopathes exclusifs entre ces deux registres (CIPAV : 15 043, ADELI : 23 402).

Pour l’IGAS, cette paupérisation de la profession est un signe alarmant de la surdensité de la profession, et la croissance démographique des ostéopathes aggravera cette situation dans les années à venir.

Une formation couteuse, peu contrôlé avec une faible visibilité de l’insertion des ancien·ne·s étudiant·e·s

La formation dispensée par certaines écoles d’ostéopathie ne répond pas aux critères d’exigence.

L’IGAS estime le coût annuel de la formation en ostéopathie dans une fourchette de 8 400 euros à 9 800 euros, ce qui entraîne un coût total de formation variant de 42 000 euros à 49 000 euros pour un·e étudiant·e.

Les étudiant·e·s peuvent être admis·es dans une école d’ostéopathie dès l’obtention du baccalauréat, et les effectifs de formation ne sont pas déterminés en fonction des besoins de la profession.

En effet, le nombre maximal d’étudiant·e·s formé·e·s chaque année, toutes promotions confondues, est déterminé par des critères relevant de l’agrément du ministère de la santé. Ces critères sont basés sur:

  • la superficie des locaux
  • la capacité et le nombre de patient·e·s accueilli·e·s par la clinique interne
  • l’importance et les effectifs du dispositif pédagogique
  • les effectifs de l’équipe administrative

L’IGAS souligne que l’agrément du ministère de la santé repose sur des documents déclaratifs, sans contrôle sur place des établissements, ce qui entraîne un manque de fiabilité quant au respect de la réglementation en vigueur.

Malgré une obligation légale, la traçabilité des jeunes diplômé·e·s et les enquêtes sur l’insertion professionnelle sont peu fiables et ne permettent pas aux étudiant·e·s d’avoir une vision claire de leur future carrière après l’obtention de leur diplôme.

Dans l’ensemble, l’administration estime que le dispositif pédagogique est inadapté en termes de durée de formation et de critères de qualité attendus.

Lorsque l’IGAS détaille les neuf dossiers pour lesquels la CCNA a rendu un avis défavorable en 2021, elle constate que les principaux aspects de non-conformité sont les suivants :

  • l’insuffisance de l’enseignement clinique due à une activité insuffisante de la clinique;
  • l’absence d’expérience requise pour les tuteurs et tutrices de stage;
  • l’absence de convention de stage pour les stages externes;
  • le non-respect de la convention nationale de l’enseignement privé;
  • la non-conformité des locaux, de l’équipe pédagogique et d’enseignement. L’IGAS note une prédominance de la forme sur le fond dans l’analyse des dossiers d’agrément.

Une absence de registre des événements indésirables

La gravité des accidents relatés justifie d’organiser le recueil des déclarations des victimes de complications graves et d’en tenir un registre (…) Il semble indispensable que les pouvoirs publics organisent le recensement de cas graves et la constitution d’un registre afin de protéger les usagers, sans à ce stade envisager une indemnisation de ces accidents. La nature médicale des accidents décrits oriente vers une implication de l’ONIAM dans le recueil des accidents graves.

L’IGAS souligne une probable rareté des sinistres liés à la pratique de l’ostéopathie, mais constate la possibilité de survenance d’événements graves.

En effet, au Royaume-Uni, le National Council for Osteopathic Research (NCOR) a recensé en 2017 un total de 184 ostéopathes faisant l’objet d’une plainte, soit 3,5 % des ostéopathes anglais·es. Les principaux motifs de plainte sont liés aux soins dispensés et au comportement du praticien.

En France, Olivier Dumay, médecin à la cour d’appel, a analysé 18 dossiers concernant des ostéopathes entre 2010 et 2019.

Tous les ostéopathes français doivent disposer d’une assurance responsabilité professionnelle. Le rapport de l’IGAS indique que le coût de cette assurance est relativement faible, suggérant un faible risque assurantiel. Cependant, il est difficile d’obtenir une image précise des accidents causés par ces pratiques, car il n’existe pas de suivi organisé de la sinistralité ostéopathique ou chiropratique en France. En effet, étant donné qu’ils et elles ne sont pas considérés comme des professionnel·le·s de santé, l'Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM) ne couvre pas ces accidents.

Conclusion

Le rapport de l’IGAS dresse un portrait global et relativement précis de l’ostéopathie en France en 2021.

Ce rapport met en évidence un certain nombre de problèmes auxquels la profession est confrontée, ce qui nécessite une réforme significative du dispositif de formation et de l’exercice de l’ostéopathie dans le pays.

En conséquence, l'IGAS a formulé 26 recommandations adressées au ministère de la Santé afin d’initier les réformes nécessaires.

Suite à la publication de ce rapport, l’ensemble des organisations professionnelles ont communiqué leur position à ce sujet:

Nous détaillerons ces propositions dans les deux autres articles suivants de ce dossier dédié au rapport de l’IGAS qui arriverons dans la semaine.

Références

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