Le modèle bio-psycho-social: un regard critique
Au cours de ces dernières années, une augmentation fulgurante des écrits
scientifiques sur le modèle biopsychosocial (BPS) a vu le jour dans
le domaine du soin. Bien que George Engel soit considéré comme le père
de cette approche depuis 1977, l’idée d’intégrer les composantes psychologique
et sociale avec les éléments biologiques dans la maladie a été mentionnée
par de nombreux auteurs avant lui (Victor Frankl (1946) ; John Romano (1947)).
D’abord exprimé sous le nom de « psycho somatic social » par Roy Grinker en 1952,
il en adopta peu de temps après, le terme définitif de « biopsychosocial ».
C’est seulement en 1977 qu’Engel démocratisera ce concept par son célèbre article
« The need for a new medical model : A challenge for medicine ». Bien que
majoritairement considéré dans le cadre des maladies mentales, cette approche
n’est pas la propriété exclusive du domaine de la psychiatrie. Avant 1977,
différents spécialistes s’étaient déjà intéressés à ce concept dans d’autres
disciplines telles que l’ergothérapie, la pédiatrie, la médecine générale ou
les soins infirmiers.
Aujourd’hui, ce modèle s’est fortement étendu dans le domaine du soin et
spécifiquement dans le cadre du traitement de la douleur. Le terme BPS est
devenu omniprésent lorsque l’on s’intéresse aux différents types de thérapies
existantes. Il est actuellement considéré comme le modèle à utiliser lors
d’une prise en charge thérapeutique et plus particulièrement en
thérapie manuelle,. Les guides de bonnes pratiques sont largement
favorables à son application dans la prise en charge de la douleur liée aux
troubles musculo-squelettiques.
Les dernières recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé concernant
les douleurs chroniques lombaires vont notamment dans ce sens.
Par ailleurs, une modélisation implique une simplification de la réalité.
Pour chaque modèle, il est important de questionner sa validité ainsi que des
limites imposées par sa conception. Cependant, comme le mentionne Weiner
(2008), peu d’investissements ont été mis en œuvre dans la critique du
modèle BPS. Bien que discrète, la littérature actuellement disponible met
en évidence un certain nombre de problématiques concernant cette approche.
Il pourrait être cité le manque de cohérence du concept quant à la théorie
sur laquelle il s’appuie, son manque de validité scientifique,,,
ou encore, la mauvaise intégration du caractère subjectif et individuel de
la personne douloureuse. Bien que ces limites soient intéressantes,
ce présent article se focalise sur la manière même dont le modèle BPS a
été conceptualisé et exprimé, pouvant induire en erreur sur son interprétation
et son utilisation. Par la suite, nous aborderons certaines pistes de réflexion
concernant les causes d’une mauvaise application de ce dernier. Sensibiliser les
professionnels de (la) santé aux limites du modèle biopsychosocial pour les
intégrer à leur réflexion clinique pourrait tendre à améliorer son utilisation.